Quarante-quatrième apologie : La Nuit.
Un passage obligatoire : la traversée de la Nuit. Dans une conversation fournie avec l’invisible et une réflexion remplie de commisération à l’endroit du profane, le sage s’assure de la nécessité de son enseignement et élève sa qualité à une dimension divine et insondable: il initie son disciple à la sorcellerie en lui contant l’épreuve que lui-même avait subie.
Le Sage :
1
- Ô Ciel, rassure-toi, je ne fais pas le secret conventionnel destiné aux profanes mais, je m’efforce de t’ouvrir à mon disciple.
- Permets-moi d’aller jusqu’au bout sans les nuages providentiels de la vulgarité et du mensonge.
- Tchè- Tula, Roi du secret, j’ai fait mes sacrifices.
- Ma mission s’est accomplie à l’insu du profane. Il ne le saura pas. Toi, tu le sais maintenant.
- Le premier geste est un inconnu. Le deuxième est le Passé. Le troisième est le Présent. Le quatrième est le Futur. Le cinquième est l’Inconnu.
- C’est un fait historique. C’est aussi un acte d’ici et maintenant.
2
- Di-Fu, Woli-Fu, Gouda-Gbé, Piroguier, Portier et Gardien du monde invisible, la fin s’approche, apprêtez-vous.
- Au loin, dans les tourbillons, j’aperçois la Forêt Sacrée. Ô lroko, grandeur de l’inconnu, je me prosterne. Voici le Vodun. Je te remercie.
- Que le connaisseur s’éloigne. Ici personne ne dit « je connais. »
- J’ai subi les 256 peines de vie. J’ai visité les 41 cités du Mystère
- Toi, profane, tu n’avances pas. Tu as peur.
- Rassure-toi l’Au-delà n’a pas d’abîme.
- Que la grenouille vienne à grimper dans l’arbre, ce serait devant le serpent.
- Moi, je comprends tout cela. Toi aussi comprends. Je souhaite que tu comprennes. C’est l’incompréhension qui t’éloigne de la Connaissance.
- Tolère notre idiotie. La tolérance unit.
- Dans notre stupidité, vois la sagesse.
3
- Le FA m’a dit: ‘’Fu-Yèkou. Prends garde.
- Fuis leur vent, l’ombre épargnera ta demeure.
- Fuis leurs libations, tout le monde te reconnaîtra, et tu partiras quand tous t’auront vu.’’
- Un jour, mon Maître m’amena au pied du grand lroko.
- Après une longue cérémonie au cours de laquelle furent utilisés objets, ingrédients et bêtes qu’il m’avait demandé la veille, il me dit en touchant le géant arbre:
- « Ce soir, dans cet arbre, les grands sorciers du village viendront manger l’âme de quelqu’un.
- Ce sera l’occasion pour toi d’assister pour la première fois aux ripailles nocturnes des maîtres.
- La nuit quelque chose de toi viendra dans cet arbre et tu nous verras en train de manger.
- Ne prends rien de ce qu’on te donnera.»
- Il me mit le suc de quelques feuilles triturées sur les yeux et me congédia.
- La nuit, je n’ai pas dormi. Mon corps et mon esprit n’ont pas quitté mon lit. Personne ne vint me quérir de la part des sorciers.
4
- Le lendemain mon Maître me demanda pourquoi je n’étais pas au rendez-vous. Je lui répondis que je ne sais pas.
- Il me dit « nous, nous y étions. Nous avons mangé des âmes. »
- Pourquoi mangez-vous des âmes?
- Mon Maître me dit: « Comme le dit Gbé-Yèkou, tout est en transformation dans une perpétuelle continuité.
- Pour passer d’un stade de transformation à l’autre, les âmes transitent par l’iroko où elles sont soumises à une épreuve sévère de recyclage et de réintégration.
- Les plus faibles tombent malades ou meurent. Les plus résistantes reçoivent de forces nouvelles.
- L’iroko porte en gestation la Vie et la Mort. Le Bien et le Mal. Il symbolise le mystère de l’être. »
5
- Pourquoi moi je n’étais pas à l’assemblée de la nuit dernière?
- « Peut-être, n’es-tu pas fait pour manger les âmes ou pour assister à des sacrifices de ce genre.
- La sorcellerie est un sacerdoce pour lequel tout le monde n’est pas appelé.
- Par ailleurs, l’efficience veut que notre nombre soit restreint. C’est pourquoi nous privilégions ceux qui sont réellement appelés. Ne me demande donc pas de reprendre cette initiation.
- On ne force pas la porte de ce cercle.
- Le cercle est le même, une vérité naturelle, identique partout, pour laquelle nous œuvrons tous.
- Mais dans la tentative de réfuter notre foi, nous tournoyons autour jusqu’au déséquilibre final qui nous éloigne d’elle.
- Et, au lieu de nous arrêter à notre chute, nous courons derrière le démon et le diable qui ne sont autres que nous-mêmes. »