LA NUIT

10 août 2019

LA NUIT

Quarante-quatrième apologie : La Nuit.

Un passage obligatoire : la traversée de la Nuit. Dans une conversation fournie avec l’invisible et une réflexion remplie de commisération à l’endroit du profane, le sage s’assure de la nécessité de son enseignement et élève sa qualité à une dimension divine et insondable: il initie son disciple à la sorcellerie en lui contant l’épreuve que lui-même avait subie.

Le Sage :

1

  1. Ô Ciel, rassure-toi, je ne fais pas le secret conventionnel destiné aux profanes mais, je m’efforce de t’ouvrir à mon disciple.
  2. Permets-moi d’aller jusqu’au bout sans les nuages providentiels de la vulgarité et du mensonge.
  3. Tchè- Tula, Roi du secret, j’ai fait mes sacrifices.
  4. Ma mission s’est accomplie à l’insu du profane. Il ne le saura pas. Toi, tu le sais maintenant.
  5. Le premier geste est un inconnu. Le deuxième est le Passé. Le troisième est le Présent. Le quatrième est le Futur. Le cinquième est l’Inconnu.
  6. C’est un fait historique. C’est aussi un acte d’ici et maintenant.

2

  1. Di-Fu, Woli-Fu, Gouda-Gbé, Piroguier, Portier et Gardien du monde invisible, la fin s’approche, apprêtez-vous.
  2. Au loin, dans les tourbillons, j’aperçois la Forêt Sacrée. Ô lroko, grandeur de l’inconnu, je me prosterne. Voici le Vodun. Je te remercie.
  3. Que le connaisseur s’éloigne. Ici personne ne dit « je connais. »
  4. J’ai subi les 256 peines de vie. J’ai visité les 41 cités du Mystère
  5. Toi, profane, tu n’avances pas. Tu as peur.
  6. Rassure-toi l’Au-delà n’a pas d’abîme.
  7. Que la grenouille vienne à grimper dans l’arbre, ce serait devant le serpent.
  8. Moi, je comprends tout cela. Toi aussi comprends. Je souhaite que tu comprennes. C’est l’incompréhension qui t’éloigne de la Connaissance.
  9. Tolère notre idiotie. La tolérance unit.
  10. Dans notre stupidité, vois la sagesse.

3

  1. Le FA m’a dit: ‘’Fu-Yèkou. Prends garde.
  2. Fuis leur vent, l’ombre épargnera ta demeure.
  3. Fuis leurs libations, tout le monde te reconnaîtra, et tu partiras quand tous t’auront vu.’’
  4. Un jour, mon Maître m’amena au pied du grand lroko.
  5. Après une longue cérémonie au cours de laquelle furent utilisés objets, ingrédients et bêtes qu’il m’avait demandé la veille, il me dit en touchant le géant arbre:
  6. « Ce soir, dans cet arbre, les grands sorciers du village viendront manger l’âme de quelqu’un.
  7. Ce sera l’occasion pour toi d’assister pour la première fois aux ripailles nocturnes des maîtres.
  8. La nuit quelque chose de toi viendra dans cet arbre et tu nous verras en train de manger.
  9. Ne prends rien de ce qu’on te donnera.»
  10. Il me mit le suc de quelques feuilles triturées sur les yeux et me congédia.
  11. La nuit, je n’ai pas dormi. Mon corps et mon esprit n’ont pas quitté mon lit. Personne ne vint me quérir de la part des sorciers.

4

  1. Le lendemain mon Maître me demanda pourquoi je n’étais pas au rendez-vous. Je lui répondis que je ne sais pas.
  2. Il me dit « nous, nous y étions. Nous avons mangé des âmes. »
  3. Pourquoi mangez-vous des âmes?
  4. Mon Maître me dit: « Comme le dit Gbé-Yèkou, tout est en transformation dans une perpétuelle continuité.
  5. Pour passer d’un stade de transformation à l’autre, les âmes transitent par l’iroko où elles sont soumises à une épreuve sévère de recyclage et de réintégration.
  6. Les plus faibles tombent malades ou meurent. Les plus résistantes reçoivent de forces nouvelles.
  7. L’iroko porte en gestation la Vie et la Mort. Le Bien et le Mal. Il symbolise le mystère de l’être. »

5

  1. Pourquoi moi je n’étais pas à l’assemblée de la nuit dernière?
  2. « Peut-être, n’es-tu pas fait pour manger les âmes ou pour assister à des sacrifices de ce genre.
  3. La sorcellerie est un sacerdoce pour lequel tout le monde n’est pas appelé.
  4. Par ailleurs, l’efficience veut que notre nombre soit restreint. C’est pourquoi nous privilégions ceux qui sont réellement appelés. Ne me demande donc pas de reprendre cette initiation.
  5. On ne force pas la porte de ce cercle.
  6. Le cercle est le même, une vérité naturelle, identique partout, pour laquelle nous œuvrons tous.
  7. Mais dans la tentative de réfuter notre foi, nous tournoyons autour jusqu’au déséquilibre final qui nous éloigne d’elle.
  8. Et, au lieu de nous arrêter à notre chute, nous courons derrière le démon et le diable qui ne sont autres que nous-mêmes. »
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